En dépit de l’absence de systématicité explicite de sa réflexion, Walter Benjamin est pour notre époque un philosophe plus pertinent que Martin Heidegger. Le motif essentiel de cette affirmation, c’est l’oeuvre d’art, c’est le concept même d’oeuvre, concept qu’il n’est pas nécessaire de juger dépassé ni venu d’une origine qui serait désormais hors de portée. La question qui se pose est de définir l’allure d’une oeuvre contemporaine et, partant, impliquée dans la technicité de l’époque. Cela passe évidemment par le cinéma, pas seulement l’art du cinéma, mais le cinéma comme pratique générale et forme aujourd’hui déterminante de toute intuition du monde. Mais cela passe aussi par la façon dont la peinture, art avéré avant l’invention du film, a pu se faire à la montée en puissance de ce dernier. D’où l’intérêt porté ici, malgré tout ce qui pousse sur le devant de la scène dite « de l’art » des pratiques plus libérales et plus spéculatives, à des « contemporains » comme Kandinsky, Klee ou Braque. Que l’art au temps du film – temps qui est aussi, à entendre Walter Benjamin, celui de la diffusion généralisée – ne soit pas nécessairement, pour tout dire, un jeu de langage, c’est la thèse ici avancée. Cet art implique un faire. Seulement, sa puissance est commune. Ce livre montre, à partir d’une lecture de Rousseau notamment, qu’on ne peut comprendre l’intérêt de cette puissance si on ne cherche pas à libérer la technicité humaine foncière des procédures d’essence économique qui lui donnent de l’emploi, procédures où le calcul et la prévision comptent plus que le travail et la gestation.